Petit retour sur la conférence que j’ai donnée lors de la Fête de l’Abeille noire, tant pour ceux qui n’ont pas pu y assister qu’à fin d’illustrer mes propos autour de l’image de l’écriture.
Cette conférence sur «l’art de l’étiquette» a été, entre autres choses, l’occasion de retrouver et de présenter le processus de conception d’une image de marque datant de 2004: celle de la société agricole «L’Arbre aux Abeilles». Il est assez rare que je garde une trace complète du processus créatif de mon travail de graphiste. D’une façon générale, le «crayonné» n’a plus une très grande place dans le travail infographique. Dans ce cas précis, contexte et choix artistiques obligent, toutes les étapes se sont retrouvées consignées sur papier et ont été conservées. Cette image de marque est contemporaine de la naissance d’une amitiée et de ma rencontre avec l’apiculture traditionnelle cévenole.
Contexte
Je séjourne au Pont-de-Montvert (Lozère) chez mon ami Valery. Ce dernier va me présenter Yves, cinéaste et apiculteur. Yves est en recherche de conseils pour l’image de la structure apicole qu’il vient de créer avec sa compagne Chantal.
Remarque: Yves venait à l’époque de terminer un film titré «l’Arbre aux Abeilles» traitant de l’apiculture des ruches troncs cévenoles. Sa société agricole porte le même nom. Son image de marque est destinée aux produits apicoles, essentiellement des étiquettes (miels, propolis, hydromels). Quelques années plus tard sera créée l’Association loi 1901 éponyme et son image de marque, mais ce n’est pas de celle-ci dont il est question dans cet article. |
La demande de Yves s’articule autour d’un croquis qu’il me présente.
A partir de cette base mon travail de conseiller va spontanément évoluer vers celui de concepteur.
Environnement
La première partie de mon travail a été de regarder.
Bien évidement les «ruche-tronc» qui ont inspiré le nom de la société mais aussi tous les éléments porteurs de graphisme présents dans leur environnement. L’apiculture de ruche-tronc a ceci de particulier qu’elle s’intègre parfaitement au paysage cévenole. Elle est le paysage cévenole. Rien à voir avec les ruches modernes à cadre qui, esthétiquement, ont plus leur place sur une barre de Le Corbussier que dans un bocage. Il est important pour moi que l’image de marque à venir fasse partie intégrante de son environnement naturel et culturel. Deux inscriptions ont particulièrement retenu mon attention.
La première est une gravure dans un linteau de granite. Loin de l’archétype de la majuscule gravée à la base de la colonne Trajane, elle en reprend, plus ou moins, le dessin de base. Mais, sans la rigueur romaine, elle semble presque gravée «à la va-vite», par une personne plus intéressée par ce qu’elle inscrit que par le savoir-faire du tailleur de pierre.
La seconde est une enseigne de fer forgé qui reprend des initiales et une date au fronton de l’entrée de la maison qui m’accueille. L’image des lettres s’adapte au matériau qui la compose. Mon regard a continué de se poser sur les ferronneries qui dans le village me semblent un des lieux privilégiés du travail décoratif et esthétique.
Premiers dessins Les premières esquisses rejettent directement l’hexagone. Trop évident. À force d’être utilisé à toutes les sauces pour les produits apicoles, il en devient lassant.
Ces premiers essais auraient pu aboutir à une image de marque bien différente et fort sympathique, empreinte d’une douce féerie bucolique. C’est le personnage qui émane de la ruche tronc qui est ici présent. Remarquez que ses pieds/racines présentent déjà des caractéristiques propres au fer forgé. L’hexagone revient dans cette petite esquisse. La notion d’un logo qui emprunte sa structure au travail du fer devient plus apparente.
Ci-dessous, la toute première version de ce que sera l’image définitive, ainsi que les premiers essais de typographie destinés à l’accompagner.
L’hexagone est présent mais il est déstructuré en trois zones. Le tronc et ses ouvertures au centre, flanqué de deux initiales dans un rectangle. En haut le triangle des feuilles et en bas le triangle de l’abeille. L’ensemble est réalisable en fer forgé.
Lors d’une première présentation, Yves me fit très justement remarquer le coté martial du résultat, avec un tronc qui ressemble plus à un donjon qu’à une section de bois. Rien ne vaut un regard extérieur pour «sortir la tête du guidon», même (et surtout) si vous portez le titre d’expert. La solution est rapidement trouvée car déjà présente dans le travail du fer ondulé de l’enseigne. Il redonne son coté organique au tronc.
Il suffira de quelques étapes supplémentaires pour donner au logo sa faisabilité d’enseigne métallique.
Le letttrage a suivi une voie parallèle, tantôt reprenant les traits d’un caractère «Garamont», tantôt ceux d’un «Trajan». Il s’éloigne de ces deux modèles par le tracé à main levée, qui font de chaque lettre une pièce unique. Elles perdent de leur reproductibilité et de leur rigueur, et se rapprochent de l’esprit des lettres gravées sur le linteau.
A noter l’inversion des contrastes du glyphe du Y de HYDROMEL.
Une «faute typographique» que j’ai décidé d’assumer. L’archétype du Y majuscule à empattement est issue d’un dessin avec le plat de la plume, en deux temps, où c’est la première oblique du Y qui a la plus grosse épaisseur. Fernand Baudin nous le montre très bien dans ce petit dessin.
Voilà pour l’histoire de cette image de marque. Pour conclure en mai 2014 mon ami Yves a fait réaliser un «fer à marquer» destiné à ses caisses en bois et en carton. Ce n’est pas encore l’enseigne de fer forgé qui pourra décorer et signaler sa maison… mais on s’en approche.
Merci de votre attention.
Pascal Popesco
Photographie des ruches troncs © Yves Elie Laurent. Pour l’ensemble de l’iconographie © Pascal Popesco et «L’Arbre aux Abeilles» (marque déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle). Pour la petite leçon de typographie © Fernand Baudin – extrait de «La Typographie au tableau noir», Editions Retz, Paris, 1984.
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