Tous les usages de la parole pour tout le monde […]
pas pour que tout le monde devienne artiste, mais pour que personne ne reste esclave.
Gianni Rodari
Arrivant à la fin de mon remplacement au Sacré-Cœur de Lindthout et avant d’aborder de nouvelles aventures pédagogiques, il me semble de bon aloi de revenir sur ces deux dernières années qui ont vu s’épanouir ma « seconde carrière »1 d’enseignant.
J’ai pu lors d’un précédent article donner un premier aperçu d’exercices proposés en 2020-2021 à des élèves de 1re année secondaire. Je vais au cours de deux prochains articles présenter de façon plus exhaustive mes choix et de mes méthodes pédagogiques.
Mon premier objectif est de m’adresser (et donc de motiver) tous les élèves de 1re et 2e année2. Vous me direz que c’est la noble tâche de tout professeur: c’est très juste mais peut être un peu moins évident que pour d’autres matières. Les arts plastiques ont la réputation d’être question de prédispositions, bien loin de la notion d’effort, de travail et de concentration que l’apprentissage des mathématiques, par exemple, est censé demandé. Sans parler de la notion de « non essentialité » des pratiques culturelles que certains s’essayent à distiller. Ces nuances dans la perception et l’évaluation de cette matière ont guidé mes choix pour mettre en place un espace consensuel de travail où la plus grande majorité des élèves pourra trouver son compte.
Sur cette base, mon cours donne le primat à l’apprentissage de la créativité au sens large (elle n’est pas l’apanage des arts plastiques) et aux techniques d’expression graphique en tant que langages: de la tache de couleur au dessin d’observation. L’ensemble de mes propositions combine ces deux pôles en 1re année. En 2e année, il en est de même, avec un accent mis sur le travail de la narration: « art » et « fiction » sont quasi synonymes. Quoi de mieux qu’une histoire pour fédérer les attentions? Qui n’aime pas les histoires? Qui n’a pas besoin d’histoire pour se retrouver ou se raconter?
Voilà pour l’introduction commune aux deux articles qui vont se suivre.
Passons aux choses pratiques et visibles
Les « Défis dessins »
Professeur est un travail d’équipe. Même s’il ne se fait pas toujours en compagnie de vos collègues directs, cette dimension est nécessaire, voir indispensable. D’autres que vous se sont posés les questions et chacun apporte sa pierre. Alors avant d’aborder ma pratique du « défi dessin », il me semble important de remercier l’équipe de professeurs et inspecteurs français qui a mis en place l’opération « Défi dessin » et mis en ligne le site https://defidessineducatio.wixsite.com/defidessin dont je vous laisse prendre connaissance. Je remercie tout autant Bernard Louis, conseiller de la Cellule de Soutien et d’Accompagnement du FESeC – Secteur art, qui m’a fait connaitre ce site.
Plus qu’une proposition d’exercice, l’opération « Défi dessin » est en elle-même une philosophie de l’initiation aux arts plastiques. Je dois dire que j’en use et j’en abuse, et qu’au final tous mes exercices sont présentés aux élèves comme des défis.
Un moment idéal pour aborder les « défis dessins » est sans doute le tout début de l’année.
D’une part, c’est un outil merveilleux pour montrer qu’une réponse efficace et qui fonctionne à une demande d’image n’est pas une question de don, et donc de fédérer la participation du plus grand nombre. D’autre part, il n’est pas nécessaire d’avoir le matériel spécifique aux arts plastiques pour se mettre au travail.
Déroulement
Après avoir transcrit sur fiches cartonnées les « défis » proposés par le site et après avoir sélectionné subtilement ceux qui correspondent à votre public, il reste à haranguer la classe:
- « Que vous aimiez ou pas dessiner, que vous vous estimiez bon ou mauvais dessinateur, vous pouvez gagner au défi dessin… Je vais vous le prouver ici et maintenant ! Parfois, un dessin bien “léché” sera choisi… parfois, c’est la bonne idée qui primera! À vos marques… prêt… partez. Voici votre défi !».
Bien évidemment il s’agit de donner les règles du jeu auparavant:
- « À partir du moment où j’énonce le défi, vous avez 15 minutes… pas une de plus pour y répondre (utiliser un sablier est du meilleur effet).
- Tout le monde travaille sur un format A5 (ou une demi-feuille de classeur) avec les outils que vous avez à disposition.
- J’afficherai tous les travaux au tableau. Vous voterez une fois pour la réponse au défi que vous trouverez la meilleure (mais vous ne pouvez pas voter pour la vôtre) et c’est ainsi que seront désignés les gagnants (les trois premiers par exemple). À la clef, pas de note, c’est la gloire pour récompense. »
Mais assez parler: regardons les résultats de deux défis. Si le travail n’est pas noté, il est par contre exposé sur la plate-forme de communication interactive de la classe sous forme d’un fichier PDF. Il est destiné aux élèves et aux parents, sans que les gagnants soient spécifiés.
Voici les propositions de la 1re G (2021-2022) pour le défi « Un dessin qui pique » :
Et les propositions de la 1re G (2020-2021) pour le défi « Un dessin à déplier » :
J’ai eu la chance d’avoir jusqu’à présent un taux de participation maximal. Rares sont les élèves qui ne veulent absolument pas se prêter au jeu.
Au final c’est souvent le « joli » dessin qui est primé… mais pas que.
Compte tenu des défis proposés, c’est parfois l’idée originale qui remporte les suffrages.
Et si elle ne s’est pas présentée ce jour, vous pouvez toujours leur montrer ce que le gagnant du défi « Un dessin qui pique » avait proposé l’année dernière. À la 14e minute, il a pris une punaise qu’il a fichée dans son A5 et m’a dit: « Voilà, monsieur, un dessin qui pique !»


Vous n’échapperez pas au vote massif en faveur de l’image de la ou du « populaire » de la classe, quel que soit le gribouillis qu’elle/il propose… Pas grave, vous savez comme moi que copinage et arts plastiques ont toujours fait bon ménage. Il n’est jamais trop tôt pour l’apprendre.
Bien évidemment le dépouillage des résultats peut (et doit) donner lieu à échanges de paroles et débats.
De nombreuses autres occasions s’offrent pour proposer les défis dessins. L’une d’elles, plus individuelle et charmante, se présente de temps en temps en fin de 1re année où un flottement dans les derniers cours peut se faire sentir: certaines et certains ont terminés leur dernier exercice évalué… que faire? C’est l’occasion de proposer des exercices facultatifs divers et variés: par exemple le « défi histoire » (sur lequel je reviendrai lors du prochain article) ou le « défi dessin à la demande ». Et là se produisent parfois de petites performances bien sympathiques. Une ou un élève se met à « manger goulument » du défi dessin. Je leur confie la pile de fiches de défis sans sélection préalable et ils choisissent. Et je me retrouve avec un festival de 4,5,6… réponses à des défis toutes aussi intéressantes et créatives que rapidement exécutées. Le plus souvent, ces marathonien·en·s sont des élèves plutôt discrets, pas forcément les plus fervents dessinateurs de l’année… Quel plaisir de les découvrir.




de ma table vue par une fourmi

trop grand
pour sa feuille
Les « Tapis parlants »
Avec les « Tapis parlants » nous sommes dans une toute autre dynamique. Cet exercice est proposé dans le cadre d’une continuité. Il a été précédé par un exercice d’expérimentation et d’échantillonnage du matériel à disposition des élèves.
L’ensemble de ce travail d’expérimentation du langage plastique (de ce que nous dit une image) se fait à grand renfort d’exemples visuels qui sont autant de jalons tout au long de l’année: une histoire de l’art de poche.
Ces jalons visuels peuvent se regrouper en sous-catégories de la grande catégorie « MONTRER ». Ces sous-catégories pourraient se dénommer « Montrer précisément », « Montrer généralement », « Montrer vaguement » et pour finir « Montrer pas vraiment… mais montrer tout de même », sous-catégorie que je pourrais aussi appeler « DÉCORER » et qui regroupe globalement les images qui tiennent du motif et de l’abstraction.
Pour les « Tapis parlants », c’est un peu de cette catégorie dont nous partons… et de l’exercice d’échantillonnage qui le précède, nommé pour l’occasion « De l’outil au mot ». En voici les grandes lignes:
- « Que pouvez-vous faire avec votre matériel? Avec des crayons 2H, HB, 2B, une gomme, des feutres, des stylos bille, avec des crayons de couleur aquarellables (ou pas), des écolines, des fluos, du Typex, etc. Comment les mélanger, les faire se rencontrer sans trop se préoccuper de montrer quoi que ce soit? Le « B, A : BA » des outils d’art plastique, avec comme objectif le plus de diversité et de curiosité dans les échantillons. »
Et puis après cet exercice, mettre des mots dessus…
- « Mais monsieur… comment peut-on mettre des mots sur des images ?»…
Une question qui ne manquera pas d’être posée à de nombreuses reprises.
Là encore, il suffit de montrer…








…et mettre en route les interrelations et l’intelligence collective. « Si tu ne trouves pas de mots pour ton échantillon, demande à tes camarades, tes amis, tes parents… » et d’étendre le questionnement:
- « Monsieur j’ai fait une tache orange; je peux écrire « orange ?»
- « Oui mais… orange comme quoi? » Comme une orange? Comme un abricot ? Comme le sable du désert? Comme une flamme? Comme un coucher de soleil? etc. »
Bref, mettre des mots sur des images.
Nous en sommes là au début de l’exercice « Les tapis parlants ».
L’objectif de cet exercice est de réaliser et d’exposer un certain nombre de tapis composé de ±25 morceaux réalisés par chacun des élèves. Et bien évidemment ces tapis disent quelque chose. Cette année, nous avions au programme un « Tapis de bonheur », un « Tapis sauvage » et un « Tapis de temps ».
Le but était de rester dans le domaine du motif et de la décoration/abstraction, d’où le choix de travailler dans un format non rectangulaire avec la consigne de pouvoir regarder ce morceau de tapis dans tous les sens.

Comme vous le constaterez ci-après, il est malgré tout difficile d’éviter la figuration. Partant du principe qu’une image figurative qui se répète (ou pas) devient un motif, elle peut tout à fait s’intégrer dans un tapis.
Je vous laisse admirer les 14 travaux exposés par 7 classes de 1re année (2 tapis sur les 3 réalisés sont exposés dans le «Grand couloir»: le choix de la classe) en vous laissant deviner de quoi ils parlent…
Un tout grand merci aux élèves de 1re année et de 2e année AC art et IJ 2020-2021 et 2021-2022 sans qui cet article n’aurait pas pu voir le jour.
Au plaisir de vous retrouver dans le prochain article: Arts plastiques avec les 12-13 ans – «2/2 Narrations».
Bonjour chez vous,
Pascal Popesco
- « Enseignant de seconde carrière » est le terme consacré pour les enseignants qui ont eu une carrière dans un ou plusieurs domaines avant d’aborder celui de la transmission.
- Dans le cadre de ce collège, les élèves de 1re année ont 1 heure par semaine d’éducation plastique obligatoire dans leur cursus. En 2e année il existe une activité complémentaire de 2 heures par semaine dans le cadre d’un choix. Il n’y a pas de redoublement possible en 1re année dans l’enseignement belge francophone et les deux premières années de secondaire sont sanctionnées par le passage d’un examen qui permet ou pas de poursuivre des études dans l’enseignement général. Le redoublement peut se faire en 2e année. Le SCL comme d’autres écoles mettent en place des classes dites « projet » pour les élèves qui ont besoin d’un soutien particulier. Dans le cadre de cette 2e année « projet », les élèves ont le choix d’une 1 heure par semaine d’arts plastiques entre autres activités. Dans l’enseignement belge francophone, les arts plastiques sont des matières dites « formatives » lors de ces deux premières années (versus matières certificatives), dans le sens où leur évaluation ne sanctionne pas un parcours. Elle donne une idée de la curiosité, de l’implication et de la participation de l’élève dans la matière.
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